LE MONDE DES STRINGERS
par Yves
Eudes
journaliste au quotidien Le Monde,
auteur de nombreux articles et d'un reportage sur les
Stringers.
Une nouvelle race de chasseurs d'images a envahi les
grandes villes américaines. On les appelle "stringer",
un vieux mot hérité de l'époque héroïque
de la presse d'avant guerre, qui désignait les photographes
et reporters indépendants.
Aujourd'hui les stringer sont cameramen. Ce sont des
loups solitaires qui n'en font qu'à leur tête
et ne cherchent qu'une chose: de l'action, du sang.
Leurs outils de base: une caméra bon marché,
un projecteur, une voiture rapide et surtout une radio spéciale
permettant de capter les transmissions de la police, des
pompiers et des ambulances.
Toute la nuit ils rôdent inlassablement dans les
rues et dès qu'une catastrophe ou un crime sont signalés,
ils se précipitent.
S'ils arrivent sur les lieux avant la police, ils peuvent
filmer les victimes encore palpitantes ou même les
tueurs à l'œuvre.
Puis, ils téléphonent aux stations de télévisions
locales. Si elles sont intéressées, ils traversent
à nouveau la ville en trombe pour livrer leur cassette
vidéo.
Les télévisions sont friandes de ces images-choc
qu'elles utilisent pour épicer leurs programmes d'actualité,
mais elles pratiquent des tarifs très bas.
Pour gagner leur vie, les stringer doivent faire plusieurs
ventes par nuit.
Ils vivent sans cesse sur la brèche, aiguillonnés
par la crainte de rater un scoop, et ne vont se coucher qu'au
matin, quand les honnêtes gens commencent à
encombrer les rues.
Ils cultivent leur image de durs à cuire, mal
vus de tout le monde, mal payés, mal habillés,
mal outillés, mais que rien n'arrête sauf la
violence aveugle de la rue, qui parfois les frappe à
leur tour.(...)
Ils ont conscience d'être les prolétaires
de l'information, et la plupart en sont fiers.
Ils franchissent les barrages de police sans même
ralentir, envahissent avec autorité les lieux du crime,
et filment n'importe quoi, sans se soucier de la gêne
occasionnée aux victimes, aux sauveteurs, au voisinage
et aux policiers. Priorité à l'information.
Yves
Eudes
Journaliste au quotidien Le Monde
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